Des frères Violet à Cusenier :

l'histoire des caves Byrrh

 

 

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Aux environs de 1860, deux jeunes frères, issus d'une modeste famille de cinq enfants dont le père était muletier, décident de quitter leur village natal pour la plaine du Roussillon. Simon et Pallade Violet exercent d'abord la profession de marchands ambulants, vendant sur les marchés tissus et articles de mercerie. Puis ils s'installent à Thuir, où ils ouvrent un magasin de pièces d'étoffe et de draps. En 1866, désireux de participer à leur façon à la fièvre vinicole qui gagne alors la région thuirinoise, ils achètent une petite cave dans laquelle ils vont s'efforcer d'élaborer un vin apéritif aromatisé au quinquina. Une fois mis en bonbonnes, le produit est commercialisé auprès des pharmaciens, les vertus toniques de cet apéritif le faisant considérer à l'époque comme un médicament.

Cette référence au quinquina, un produit pharmaceutique soumis à des règles plus ou moins strictes, vaut aux frères Violet un procès intenté par l'ordre des pharmaciens de Montpellier. A cette occasion, ils s'aperçoivent de la nécessité pour eux de donner un nom à leur produit, et il semble que le hasard ait joué un rôle non négligeable dans leur choix : si l'on en croit l'hypothèse la plus souvent admise, les frères Violet auraient porté les yeux sur un coupon d'étoffe (n'oublions pas que la vente de tissus était encore leur activité principale) ; or ces coupons étaient traditionnellement référencés avec des lettres. Ils tombent donc sur les lettres B.Y.R.R.H, et décident de les adopter pour donner un nom à leur apéritif. Avec le recul, on s'aperçoit qu'il s'agissait d'un nom à double tranchant : pour les Catalans et la plupart des Méridionaux, pas de problème, on se trouve en présence d'un mot dons la consonance évoque celle du vin ; par contre, chez les Anglo-Saxons, on pense automatiquement à la bière, ce qui explique en partie les difficultés que la marque a toujours rencontrées dans ses exportations.

Cela dit, le Byrrh est bien lancé, et les résultats dépasseront toutes les espérances. Pour comprendre un tel succès, il nous faut comprendre que le vin fut pendant un siècle considéré comme une boisson hygiénique, et que son association au quinquina en faisait un véritable médicament qui procurait à la fois vigueur physique et plaisir gustatif. D'où la vogue d'autres produits comme le Saint-Raphaël ou cette fameuse quintonine (vendue uniquement en pharmacies) qu'il fallait mélanger à un litre de vin à 13° pour obtenir un apéritif revigorant. Le très sérieux journal Le Temps, dans un numéro spécial consacré en février 1913 aux établissements Violet, nous présente ainsi le Byrrh et ses vertus :

"Le Byrrh se recommande au consommateur par l'honnêteté de sa composition. Il est obtenu avec des vins vieux, exceptionnellement généreux, mis au contact de saines substances amères de premier choix. Il est, en même temps que le meilleur stimulant, un reconstituant de premier ordre, au goût savoureux, éminemment tonique et hygiénique. Il doit aux vins naturels, qui, seuls, servent à sa préparation, sa haute supériorité ; il emprunte aux substances amères avec lesquelles il est mis en contact un arôme agréable et de saines propriétés cordiales.

Ce produit n'est pas un médicament ; c'est cependant une consommation véritablement fortifiante, qui convient à tous. Il peut être bu à toute heure, soit pur à la dose d'un verre à bordeaux, soit dans un grand verre, étendu d'eau ordinaire ou d'eau de seltz ; il devient alors une boisson très agréable, sans perdre aucune de ses propriétés toniques."

On imagine mal Le Monde faire aujourd'hui semblable panégyrique d'un apéritif. Cela dit, le Byrrh appartient en effet à la catégorie des apéritifs à base de vin, fabriqués à l'aide de mistelles et de vins secs. Une mistelle est un mélange de jus de raisin et d'alcool permettant la conservation du sucre naturel. Toutes les mistelles entrant dans la composition du Byrrh viennent de la vallée de l'Agly, depuis Montner jusqu'à Tautavel, Estagel, Maury ou Vingrau. Le produit obtenu est ensuite porté à 17° par addition d'alcool, puis se fait l'aromatisation (à froid évidemment, puisque ni le Byrrh ni les productions similaires ne sont des vins cuits, contrairement à ce que l'on entend dire parfois), à l'aide de quinquina et d'autres plantes exotiques. On a coutume de dire que le secret de la composition du Byrrh est jalousement gardé, mais il s'agit en fait depuis longtemps d'un secret de polichinelle.

L'essor des caves Byrrh

Cela dit, le succès du Byrrh dépasse rapidement les espérances des frères Violet, au point d'entraîner des dissensions familiales. Lorsque Simon Violet envisage de développer l'entreprise en construisant de nouveaux bâtiments, il se heurte d'abord à l'hostilité de son frère, puis, après la mort de celui-ci (1883), à celle de sa veuve et de ses descendants, au point d'entraîner en 1889 une rupture à l'amiable qui se transformera plus tard en un procès acharné. S'estimant lésés, les héritiers de Pallade Violet obtiendront de fortes compensations financières qui leur permettront de construire le château des Rosiers, pendant que de leur côté Simon Violet et les siens édifiaient la villa Palauda.

Simon Violet meurt en 1891. Il sera remplacé par ses fils à la tête de l'entreprise, et à partir de 1911 la maison sera dirigée par le seul Lambert Violet. En 1960, au moment de sa fusion avec la C.D.C, elle était gérée par Jacques Violet, associé à sa soeur madame Jeantet. Autrement dit, jusqu'en 1960 la société Violet fut une entreprise familiale et paternaliste. Ce paternalisme était d'ailleurs de bon aloi, puisque les employés de Byrrh disposaient d'avantages sociaux non négligeables : retraite entièrement financée par l'entreprise, congés payés obtenus bien avant le Front Populaire, supplément familial de salaire. L'entreprise faisait travailler environ 200 personnes à Thuir et plus de 1000 dans les divers dépôts et succursales. A Thuir même, la famille Violet avait notamment financé la construction d'un hôpital et d'un stade.

Au départ, les établissements Byrrh étaient implantés de l'autre côté de l'actuel boulevard Violet, là où se trouvent actuellement divers bâtiments municipaux. Mais dès 1884 Simon Violet avait entrepris la construction de nouveaux chais qui furent pour l'essentiel terminés en 1892. On remarquera notamment, dans ces nouveaux locaux, l'immense hall central dont la verrière est due à Gustave Eiffel : long de 81 mètres et large de 20, il a vu s'effectuer toutes les opérations de chargement et de déchargement et ressemblait au quai d'une très grande gare à l'animation exceptionnelle.

A partir de 1930, le succès du Byrrh ayant atteint une renommée mondiale, de nouvelles réalisations sont entreprises, avec notamment la construction d'une cuve en chêne de 4205 hl (1934), puis l'installation de 70 cuves de plus de 2000 hl chacune. Enfin viendra la réalisation la plus spectaculaire, celle de la plus grande cuve du monde en bois de chêne, d'une capacité réelle de 10 002 hl (1950). Cette cuve pèse cent tonnes à vide, elle a une hauteur de 10 mètres et un diamètre de 12,50 mètres. Il a fallu une quinzaine d'années pour trouver et mettre en place le bois de chêne nécessaire à sa fabrication. Au total, les établissements disposent aujourd'hui de 800 cuves, permettant un stockage total de 40 millions de litres. Véritable ville dans la ville, la société occupe une superficie de 7 hectares. Pendant longtemps elle a eu sa propre gare, désaffectée en 1989. Elle a ouvert ses portes aux touristes en 1934-35, lorqu'on y avait édifié la cuve de 4205 hl. Depuis, le succès auprès des visiteurs ne s'est jamais démenti, puisque chaque année les caves Byrrh accueillent près de 300 000 visiteurs, un chiffre qui fait rêver les conservateurs de monuments historiques.

De Violet à Cusenier

Si la société Violet avait connu sa période la plus prospère entre les deux guerres, il lui faut peu à peu déchanter à partir de 1945. Elle avait d'abord souffert de sa mise en sommeil pendant la guerre de 1939-45, perdant une partie de sa clientèle. En 1946 la reprise avait été difficile, coïncidant avec l'avènement sur le marché des Vins Doux Naturels, qui bénéficiaient d'énormes avantages fiscaux par rapport aux apéritifs à base de vin. Enfin, la société avait sans doute eu le tort de s'endormir sur ses acquis, oubliant qu'une entreprise qui cesse d'investir et de prospecter est une entreprise condamnée à plus ou moins long terme. Le résultat, c'est qu'en 1960 la société Violet ne faisait plus le moindre bénéfice, même si son bilan était fastueux (plusieurs milliards de centimes de stock, des disponibilités énormes et un patrimoine immobilier d'une valeur inimaginable).

Pendant que Byrrh végétait, la C.D.C (Compagnie Dubonnet-Cinzano, fondée en 1954) avait su mieux s'adapter aux nouvelles données économiques, profitant de la faveur des vermouths auprès des consommateurs français pour vendre la marque Cinzano chez nous et obtenant avec Dubonnet des résultats fort appréciables à l'étranger. La C.D.C n'était pas forcément intéressée par l'acquisition de la marque Byrrh en elle-même, mais elle lorgnait avec envie sur les installations Violet et leurs capacités de stockage. On devine la suite : fin 1960 les deux sociétés décident de s'unir dans un mariage qui est en fait une véritable absorption de la société Violet par la C.D.C. Cette dernière apporte dans la corbeille de mariage la responsabilité des produits qu'elle détient, tandis que Byrrh fournit ses installations et son vin. Le siège social est transféré chez C.D.C, et Jacques Violet devra se contenter d'un strapontin au conseil d'administration.

Avant la fusion, la société Violet, outre les locaux de Thuir, disposait de onze établissements répartis dans toute la France : les succursales d'embouteillage à Perpignan, Lille, Charenton, Nantes et Lyon ; les dépôts en vue de la commercialisation à Toulouse, Marseille, Bordeaux, Nancy, Montluçon et Caen. Après 1960, la C.D.C liquide tout ce patrimoine immobilier, ne conservant que les établissements de Thuir (où sera désormais effectué l'embouteillage) et l'établissement C.D.C de Gennevilliers. Le personnel employé à Thuir ne diminue pas, mais sa composition se trouve profondément bouleversée : avant 1960 on y trouvait 100 administratifs pour 100 membres du personnel technique ; après cette date il ne reste plus qu'une dizaine d'administratifs pour 200 techniques.

Si la fusion a sans doute supprimé bien des dépenses inutiles, elle n'a pas pour autant résolu le problèmes des apéritifs à base de vin, qui se vendent de moins en moins bien, notamment auprès des jeunes générations. D'où la nécessité de nouvelles fusions qui auront lieu en 1977-78. La société Cusenier détenait chez C.D.C un certain nombre d'actions, de même que la société Pernod et la société Ricard. Dans un premier temps, Pernod avait absorbé Cusenier, avant de s'associer avec Ricard, ce qui fait qu'en 1977 la holding Pernod-Ricard se trouve majoritaire au sein de la C.D.C. En 1978, le groupe Pernod-Ricard décide d'annexer à Cusenier l'établissement de Thuir, afin de réunir dans le même lieu de production l'ensemble des apéritifs à base de vin qui lui appartiennent, c'est-à-dire pratiquement tous les produits actuellement sur le marché, à l'exception de Martini/Saint-Raphaël.

Voilà pourquoi aujourd'hui les visiteurs des caves Byrrh, souvent à leur grande surprise, pénètrent dans les établissements Cusenier et se voient proposer à la dégustation ou à la vente des apéritifs qu'ils auraient pu croire concurrents : Byrrh, Dubonnet, Vabé, Ambassadeur, Americano, Cinzano etc..., ainsi que des sirops et même du whisky. Mais il ne faut pas oublier que cette absorption par l'ogre Pernod-Ricard était certainement la seule chance de survie pour l'établissement de Thuir, le marasme du marché des apéritifs à base de vin n'ayant fait que s'amplifier ces dernières années, même si leur qualité n'est pas en cause, surtout en ce qui concerne le Byrrh.

 

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