Pablo
Casals (que nous appellerons Pau Casals dans la suite de cet
article, en lui donnant son prénom catalan) est
étroitement lié à la ville de Prades,
qu'il a choisie comme terre d'exil après la victoire
du franquisme, et où il a créé le
célèbre festival qui continue à porter
son nom. A travers ces quelques lignes, voici l'essentiel de
la vie de l'artiste, avec bien sûr une place
importante consacrée à son séjour
pradéen. Quelques superbes photos permettront de
mieux apprécier cet homme qui fut sans doute le plus
grand violoncelliste de son siècle.
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Pau
Casals et sa pipe
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Casals
et Yehudi Menuhin
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L'amour
de la musique et du peuple
Pau Casals
était né le 29 décembre 1876 à
Vendrell d'une famille de musiciens, puisque son père
était organiste et professeur de musique. Dès
l'âge de quatre ans, il apprit à jouer du
piano, puis se mit au violon et à la flûte.
C'est à douze ans qu'il aborde le violoncelle, dont
il commence l'étude à l'Ecole municipale de
musique de Barcelone. Quelque temps plus tard il
découvre les Six suites de Bach, et dès lors
commence entre le violoncelle et Casals une histoire d'amour
qui ne s'éteindra qu'à la mort de l'artiste.
Il se
produit en public, a déjà été
remarqué par Albeniz, qui le recommande auprès
de la reine régente Marie-Christine et lui fait
obtenir en 1894 une bourse grâce à laquelle il
ira à Bruxelles étudier la composition et le
violoncelle. Après quelques années difficiles,
il part seul pour Paris en 1899 ; il se présente
à Charles Lamoureux, dont les Concerts fondés
en 1881 font autorité dans le monde musical, et qui
va permettre à Pau Casals d'atteindre très
vite la notoriété. Dès lors sa
carrière devient internationale, bien qu'il n'ait
même pas vingt-cinq ans. En 1904 il fonde avec Cortot
et Thibaud un trio qui pendant des années va
enchanter les salles du monde entier.
Mais
Casals est resté fidèle à la Catalogne,
où il revient en 1920, créant et dirigeant son
propre orchestre. Il mène alors de front une
carrière de chef d'orchestre, de soliste et de
compositeur, et, comme si cela ne suffisait pas, il fonde
L'Association ouvrière des concerts, destinée
à favoriser le goût des ouvriers catalans pour
la musique.
C'est au
moment où il est au faîte de la gloire
qu'éclate la guerre civile espagnole, dans laquelle
son choix est clair : d'origine modeste, il s'est toujours
senti aux côtés du peuple, et il prend
aussitôt parti pour la Catalogne républicaine.
Il condamne toutes les dictatures, refusant en 1933 de jouer
en Allemagne hitlérienne. Un semi-exil commence pour
lui dès 1936: il se réfugie d'abord à
Paris, puis, le climat de la capitale ne lui convenant
guère, des amis lui conseillent Prades, où il
fait un premier séjour à la fin de
l'année 1936 et où il revient
définitivement en 1939, après une
tournée internationale et un dernier passage à
Barcelone. Désormais la victoire du franquisme est
certaine, et Casals décide de ne plus revenir dans
son pays tant que celui-ci connaîtra la dictature.
Pau
Casals à Prades
Pau Casals
habite d'abord au Grand Hôtel, où sont venus le
rejoindre de nombreux membres de sa famille. Il consacre une
bonne part de son temps à soulager la misère
des républicains qu'on a entassés dans des
camps. En 1940, lorsqu'il apprend la victoire allemande, il
veut quitter la France pour se rendre au Portugal. Mais il
ne trouve aucun bateau à Bordeaux, si bien qu'il
décide de rester à Prades : il quitte le Grand
Hôtel pour habiter un temps à la maison
Salettes (Route Nationale), puis à la villa Colette,
et enfin en 1948 dans la maison des gardiens du Val Roc,
où il restera jusqu'en 1957. C'est dans cette modeste
demeure (surnommée le Cant dels Ocells en souvenir
d'une oeuvre composée à Prades en 1941) que
viendront le voir tous les plus grands musiciens du monde,
une fois que le Festival sera né.
Mais nous
n'en sommes pas encore là : puisque Casals est
resté en France, il décide dès 1940 de
contribuer à soulager les misères
provoquées par la guerre, en participant à des
concerts de bienfaisance semblables à ceux qu'il
avait donnés à Barcelone en 1938. Ces concerts
le mènent à Perpignan, Lyon, Marseille, Cannes
et Montpellier. Ils s'interrompent après la
suppression de la zone "libre", et recommencent à la
Libération.
Casals
avait cru que 1945 verrait la fin de tous les fascismes.
Mais les dirigeants mondiaux en décident autrement,
et Franco se trouve conforté dans son rôle de
caudillo. L'artiste en est écoeuré, au point
qu'il décide de mettre un terme à sa
carrière de violoncelliste et de chef d'orchestre.
Commence alors une longue période de silence, dont
aucun de ses amis ne parvient à le tirer.
Pourtant,
en 1950, le bicentenaire de la mort de Bach le pousse
à sortir de sa réserve : c'est ainsi que
naît le premier festival de Prades, qui se
déroule dans l'église Saint-Pierre, au milieu
d'un cercle d'amis fidèles et parmi la population
locale. Même si le maître ne veut toujours pas
entendre parler de carrière internationale, il sera
désormais ravi d'organiser chaque année le
festival qui portera toujours son nom, même
après son départ de Prades.
En 1955,
Pau Casals perd sa compagne de toujours, madame Capdeville.
Mais la présence de la jeune Martita lui redonne
goût à la vie, et elle l'emmène
jusqu'à Porto-Rico, où il organise un nou veau
festival. A partir de 1957, Casals partage son existence
entre Porto-Rico et Prades, ou plus exactement Molig,
puisqu'il a décidé de quitter la mai sonnette
du Val Roc. On le voit donc beaucoup moins à Prades,
même s'il reste fidèle à son festival.
Il faudra attendre 1966 (Casals vient d'atteindre ses 90 ans
!) pour qu'enfin il y renonce, et quitte
définitivement Prades pour finir ses jours à
Porto-Rico, où il s'éteindra en 1973.
Le
festival de Prades
Il nous
faut bien entendu revenir sur ce festival Pau Casals, qui a
tant fait pour la renommée de Prades. Donc, tout
commence en 1950, à l'occasion du bicentenaire de J.S
Bach que ses amis ainsi que ses admirateurs
américains le poussent à
célébrer, puisqu'ils connaissent tous
l'adoration que le maître éprouve pour Bach.
Ainsi s'organise une manifestation qui ne porte pas encore
le nom de festival, et qui se déroulera dans
l'église Saint-Pierre, dont l'acoustique était
d'ailleurs exécrable. C'est un véritable
triomphe, auprès d'un public populaire
(pradéen pour l'essentiel) enthousiasmé de
découvrir celui qu'il connaissait depuis des
années sans imaginer qu'il possédait un tel
talent.
En 1951,
devant le succès remporté l'année
précédente, on commet l'erreur de vouloir
organiser les concerts à Perpignan, au Palais des
Rois de Majorque : certes, la foule est là, mais la
tramontane gâche bien des plaisirs et le festival n'a
plus rien à voir avec la "fête de famille" que
constitua le premier festival. En 1962, nouveau changement,
on se transporte à Sant Miquel de Cuixà,
où l'abbaye vient d'être en partie
restaurée et a retrouvé quelques-uns de ses
chapiteaux. Mais les conditions matérielles sont trop
précaires, et en 1954 on regagne l'église
Saint-Pierre, où divers artifices ont permis
d'améliorer l'acoustique. C'est là que chaque
année, jusqu'en 1966, se déroulera
désormais le festival, avec la participation des plus
grands virtuoses mondiaux. Citons entre autres Sandor Vegh,
Wilhem Kempff, David et Igor Oistrakh, Mieczyslaw Horszowski
et Yehudi Menuhin.
En 1967,
pas de festival : Casals est définitivement parti
à Porto-Rico et personne n'a osé imaginer que
la manifestation puisse se dérouler sans la
présence du maître. Mais dès 1968 s'est
formé un comité, appuyé par le Conseil
général, qui redonne vie au festival.
Désormais cependant, la plupart des concerts auront
lieu à Cuixà, dans un cadre beaucoup plus
accueillant qu'en 1952.
La
magie primitive du festival a sans doute disparu, mais
celui-ci continue d'être une manifestation musicale
importante. Il lui faut cependant éviter de vivre sur
son passé (même si le milieu mélomane
est plutôt traditionaliste), afin de trouver un
nouveau souffle et de résister à la
concurrence des autres festivals musicaux si nombreux dans
le sud de la France. Il faut également éviter
toute tentative de récupération du festival
par le Conseil général à des fins
politiques, ce qui ne serait d'ailleurs pas très
intelligent.
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