|
Cette étude sur le loup dans les Pyrénées-Orientales (et ailleurs) a été réalisée en 1985, avec une classe d'élèves du collège Pierre Fouché, à l'occasion d'un travail sur la commune de Rabouillet. " Un jour, un fermier partit à la foire pour aller vendre ses moutons. Avant de rentrer à RABOUILLET, il s'attarda chez les marchands pour acheter quelques outils dont il avait besoin. Quand la nuit commença à tomber, il décida de rentrer chez lui. Dès qu'il eut fait quelques pas sur la route, il s'aperçut que des loups le suivaient. Il n'osait se retourner. Tout le long du chemin, il entendait leur souffle. Il n'était pas à la moitié du trajet que la neige se mit à tomber. Le froid l'engourdissait et le manque de sommeil commençait à se faire sentir. Il avait emmené un âne. En se tenant à lui, il put continuer son chemin. Il savait que s'il faisait le moindre faux-pas, les loups lui sauteraient dessus et le dévoreraient sûrement. Enfin il aperçut les premières maisons de RABOUILLET. En entrant dans le village, il vit une petite chapelle. Aussitôt il fit le signe de la croix. Voyant cela, les loups prirent peur et s'enfuirent ". (Histoire recueillie par Sylvie COMERLY). De telles histoires sont nombreuses, non seulement à RABOUILLET, mais aussi dans le CAPCIR, en CERDAGNE, en VALLESPIR, dont les forêts étaient autre fois habitées par ce " grand méchant loup " dont tous les enfants ont entendu les tristes exploits. Au fait, était-il si grand et si méchant que ça ? Si l'on en croit les spécialistes de zoologie, la réputation du loup a été bien exagérée. Il n'empêche qu le loup a profondément marqué l'histoire de nos campagnes et de nos forêts, et même si ce fauve a aujourd'hui disparu, son souvenir reste présent dans les contes, les proverbes, la toponymie et continue d'effrayer les petits enfants qui n'ont jamais vu de loup et n'en verront jamais, sinon dans les parcs zoologiques. Les quelques pages qui suivent nous aideront à mieux connaître ce qu'étaient autrefois les rapports de l'homme et du loup.
I. LA RÉALITÉ : LE LOUP AU XIXème SIÈCLE C'est un fait certain, il n'y a plus de loups en France depuis longtemps, sauf bien sûr ceux qui ont été réintroduits récemment, au grand dam des éleveurs d'ovins. Dans notre département, la plupart d'entre eux ont été exterminés à la fin du XIX ème siècle, et les derniers représentants de l'espèce, qui rôdaient encore en CAPCIR au début du XX ème siècle, n'ont pu résister longtemps à la haine destructrice de l'homme. Il faut dire que les travaux de PASTEUR avaient donné aux hommes une raison supplémentaire d'exterminer le loup, considéré comme le principal vecteur sauvage de la rage, et l'on n'a pas lésiné sur les moyens: aux battues et aux pièges, s'est ajoutée la strychnine, qui n'a laissé aucune chance de survie à notre pauvre loup. Ainsi, en CERDAGNE, il paraît qu'on tuait les vieilles juments, qu'on les empoisonnait et qu'on allait les déposer près d'un ruisseau où les loups allaient boire. Ajoutons à cela les louvetiers professionnels et les chasseurs attirés par des primes alléchantes, et l'on comprendra que le combat était vraiment trop inégal. Heureusement la mémoire orale, et parfois la mémoire écrite, ont conservé quelques souvenirs du loup au siècle dernier. Voici par exemple la description qu'en faisait le naturaliste H. COMPANYO dans son "HISTOIRE NATURELLE DES P.O." (1863 Tome 3, p. 45) " Canis lupus: Animal féroce, il vit retiré et caché dans les forêts les plus touffues, d où il ne sort guère que la nuit pour chercher sa nourriture; pressé par la faim, il fond en plein iour sur les troupeaux, dans les lieux écartés; il rôde en hiver autour des habitations, et pénètre dans les bourgs; se réunit dans les saisons rigoureuses en troupes assez nombreuses pour chercher fortune; il attaque nos plus grands animaux, et au besoin il dévore les charognes, qu'il évente de bien loin. Son pelage est d'un gris-fauve chez les adultes, avec une raie noire sur les jambes de deuant; tête grosse, terminée par un museau noir, effilé, yeux obliques, queue droite et touffue. Les jeunes sujets sont d'un brun châtain. Les loups sont plus nombreux dans nos plaines en hiver qu'en été. Les neiges qui couvrent la montagne les forcent à descendre dans les plaines pour y chercher un refuge contre le froid, en même temps qu'ils peuvent s'y procurer une nourriture plus abondante. Ils sont très communs dans le département et se distinguent par leur grande taille. La longueur du loup est de 1 mètre 10 centimètres, la queue de 35 centimètres, la circonférence du corps de 73 centimètres. " H. COMPANYO distingue une seconde espèce, Canis lycaon : "moins grand et plus et plus rare que le précédent, il ressemble au premier aspect du loup ordinaire, excepté du pelage qui est d'un brun noir et uniforme. Ses oreilles sont plus distantes, et il a les yeux plus petits. Il se trouve dans les régions élevées; nos Paysans l'appellent LLOP-CERVER " (à ne pas confondre avec le lynx, qu'on appelle aussi loup-cervier) A présent, quelques chiffres sur la destruction des loups dans le département au milieu du siècle dernier (Archives départementales, série M)
Soit en moyenne une cinquantaine d'animaux tués chaque année. il n'y a à l'époque pas de louvetiers dans les P. O., mais les chasseurs sont encouragés par des primes dont l'importance varie en fonction de l'animal tué: le maximum est donné pour les louves pleines, le minimum pour les louveteaux.
La mémoire des anciens: Souvenirs très lointains, plus ou moins enjolivés par les conteurs, les histoires vécues se font rares aujourd'hui. Les témoignages qui suivent ont été recueillis en 1972 par une revue scolaire de PALAU-DE-CERDAGNE, "Au village de la xicolatada". D'abord, la cruauté du loup: une femme était allée cueillir de l'herbe pour ses lapins, laissant sa fille seule à quelques centaines de mètres de là. Quand elle eut fini, elle revint chercher l'enfant, mais ne trouva que quelques restes déchiquetés. Le loup était Passé par là. Un homme revenait de tuer le cochon à OSSEJA. Tout à coup, il aperçoit un loup qui le suit. L'homme continue à avancer, persuadé qu'il ne risque rien. Mais le loup, qui a senti l'odeur du porc, saute sur l'homme et le tue. Le lendemain, sa famille inquiète partit à sa recherche: de notre homme, il ne restait plus que des os, des souliers et du sang ! Ensuite, la vaillance des chiens de bergers: aux environs de 1800, les loups étaient très nombreux. En été, les troupeaux de moutons allaient paître la réglisse en haute montagne, dans le massif du CARLITT. Pendant la nuit, les bergers s'enfermaient dans leurs cabanes et confiaient leurs troupeaux, enfermés dans les cortals, à la garde des chiens. Au cours d'une nuit, une horde de loups attaqua le troupeau. Les chiens partirent alors chez les bergers. Ceux-ci, étonnés, s'aperçurent qu'ils avaient oublié de leur mettre leurs colliers à clous. Ils réparèrent l'oubli, et les chiens repartirent en courant. Ils arrivèrent juste à temps pour sauver les moutons et mettre les loups en fuite. Un soir d'hiver, deux loups s'étaient attaqués à un troupeau de juments. Tout de suite elles se groupèrent en rond, mettant au milieu leurs poulains. Elles se défendaient contre les loups par des ruades. Elles hennissaient aussi pour que leur propriétaire les entende. Celui-ci se réveilla, équipa ses chiens de colliers cloutés, et les envoya à la rescousse. Ce fut alors un long et courageux combat, où les chiens réussirent à triompher de leurs adversaires, qui prirent la fuite en piteux état. Il y a enfin les battues aux loups, lorsque les chasseurs du village, excédés des ravages causés par les fauves, décident de les exterminer: les hommes de PALAU se divisèrent ainsi en deux groupes, les uns à l'affût derrière une muraille. les autres effrayant les loups avec des tambours et les dirigeant vers la muraille. Dès que les loups étaient à portée de fusil, les chasseurs tiraient. Quand la battue fut terminée, on revint au village, chaque chasseur portant un loup sur l'épaule. Les têtes et les pattes furent conservées comme trophées (et sans doute aussi comme porte-bonheur), puis on fit une grande fête pour célébrer l'événement. |
|