Les
travaux agricoles en Catalogne, au fil de l'année, au
début du XVIIe siècle :
En janvier, vers la
fin de la lune vieille, couper le bois d'oeuvre (ou pour
d'autres usages), car taillé à ce moment il
durera longtemps sans se gâter. Fumer les arbres
fruitiers, en faisant attention cependant que la fumure ne
touche pas les racines. Greffer les arbres qui fleurissent
tôt, tels que rosiers, pruniers, noyers,
pêchers, abricotiers, amandiers, églantiers et
cerisiers. Tailler la vigne si le temps est bon. Labourer la
terre sèche, légère, délicate et
"amorosa", pleine de racines et de grandes herbes, qui n'a
pas été labourée depuis octobre. Faire
le second labour aux terres, et les recouvrir de paille de
fèves, d'orge et de froment. Couper les piquets de
saules pour les enclos. Réparer ou faire de neuf
charrette, brancards et autres accessoires
nécessaires à l'ouvrier agricole. Surtout ne
rien semer, car la terre est trop lourde, pleine de
vapeurs.
En février,
en lune croissante, transplanter les sarments plantés
depuis deux ou trois ans qui auront pris racine, sans
toucher à ceux d'un an, dont les racines sont encore
trop peu vigoureuses. Fumer le champ, les vignes, les
prés et les jardins. Faire les trous pour planter les
vignes nouvelles. Ébrancher et tailler les arbres de
toutes les superfluités. Préparer la terre des
jardins pour semer et planter toutes sortes d'herbes. Faire
un second labour à la terre pour semer fèves,
orge, avoine, chanvre et millet, et autres semences de
légumes petits. Visiter votre vin, surtout celui qui
doit être bon et délicat. Arranger les treilles
des jardins, couvrir de fumier les choux du jardin. Planter
les grands arbres de bosquets tels que saules, arbres
blancs, peupliers, ormes et autres, aussi bien fruitiers que
sauvages. Nettoyer le pigeonnier et les stalles du
poulailler, des paons et des oies, car c'est à la fin
de ce mois que ces animaux commencent à se poser en
amour et à couver. Acheter les ruches pour les
abeilles et nettoyer soigneusement leurs cases. Acheter
faucons, éperviers et autres rapaces, que vous
mettrez à la mue à la fin de ce
mois.
En mars, semer
l'avoine, l'orge, le millet, le panicum, le chanvre et
autres grosses semences, labourer une seconde fois la terre
réservée pour la nouvelle semence. Arracher
les mauvaises herbes, et sarcler les blés. Couper les
branches pour faire des paniers... Déchausser les
treilles et les arbres fruitiers. Mettre du fumier à
la racine des arbres.
En avril, planter
oliviers, pommiers, grenadiers, orangers, myrtes ; greffer
figuiers, châtaigniers, cerisiers. Tailler les jeunes
vignes, qui préfèrent être
taillées à cette période. Prendre soin
de donner à manger aux pigeons, qui à cette
époque ne trouvent pas grand-chose dans la campagne.
Accoupler le cheval, le mouton et l'âne avec les
femelles. Nettoyer les ruches et tuer les abeilles malades,
qui abondent quand fleurissent les mauves.
En mai, arroser les
arbres nouvellement plantés. Tondre les moutons et
les brebis, quand la lune est croissante. Mettre en tonneaux
votre vin. Faire beaucoup de beurre et de fromage, castrer
les veaux, épamprer les vignes en enlevant les
sarments qui ne donneront pas de raisins et en laissant ceux
qui en donneront et ceux qui seront bons pour faire des
bourgeons l'année qui vient. Nettoyer le
blé.
En juin, nettoyer
l'aire et la préparer, faucher les prés,
battre du blé pour l'utiliser comme
semence.
En juillet,
moissonner les blés et grains alimentaires ; enlever
les fruits gâtés des pommiers et des poiriers.
Enlever les mauvaises herbes des vignes, puis aplanir et
unir la terre, afin que le cep ne reçoive pas trop de
chaleur du soleil. Couper le bois qui vous sera
nécessaire pour l'année.
En août,
cueillir le lin et le chanvre. Cueillir les fruits des
arbres pour les conserves. Ôter les feuilles des
vignes tardives, pour qu'elles reçoivent une plus
forte chaleur du soleil. Creuser la terre pour faire des
puits ou trouver des sources, si vous en avez besoin. Penser
à préparer la vaisselle vinaire.
En septembre, finir
de labourer la terre pour semer : semer le blé et le
seigle, et autres grosses semences. Vendanger. Battre les
noix. Faucher les prés tardifs. Rassembler des fagots
de bois pour faire des palissades et pour chauffer le four
toute l'année.
En octobre, faire
le vin et le mettre dans les cuviers, couvrir les troncs des
orangers et citronniers, faire le miel et la cire, nettoyer
les vieilles ruches.
En novembre,
entreposer le vin au cellier, cueillir les glands pour
nourrir les porcs. Faire l'huile, les casiers pour les
abeilles, les divers paniers de corde et de sparterie,
couper des tiges de saule pour lier les treilles et les
sarments.
En décembre,
visiter souvent vos champs pour en écouler les eaux
après les pluies. faire provision de fumier pour
engraisser la terre. Couvrir de fumier et de terre les
racines des arbres, ainsi que les plantes que vous voudrez
conserver jusqu'au printemps.
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Quelles
cultures ?
L'évocation des
activités au fil de l'année nous donne
déjà une idée des cultures
pratiquées au début du XVIIe siècle,
qui sont en gros les mêmes qu'au Moyen-âge :
certes le haricot fait une timide apparition, mais le
maïs attendra encore quelques décennies et la
pomme de terre n'arrivera qu'au XVIIIe siècle.
L'essentiel est constitué par des
céréales et des légumineuses bien
connues depuis des siècles, auxquelles s'ajoutent de
nombreux légumes et fruits, sans oublier la vigne et
l'olivier.
Parmi les
céréales,
le blé-froment est réservé aux grandes
exploitations de plaine soumises à l'arrosage. Il
exige une importante main-d'oeuvre et des travaux constants
de l'automne jusqu'à la moisson. C'est pourquoi la
plupart des paysans pauvres lui préfèrent le
seigle, qui pousse dans toutes les sortes de sols : selon
Agustí, la plupart des terres où on le cultive
sont maigres, sableuses et mal travaillées par les
habitants, plus soucieux de nourrir les bêtes à
laine que de labourer. Le pain de seigle est
déplaisant, gras, visqueux, lourd, plus utile en
temps de disette pour alimenter les pauvres que pour nourrir
les riches. Le méteil, semence où se
mêlent blé et seigle, est déjà
largement utilisé : il permet d'obtenir des
récoltes plus riches et plus sûres qu'avec le
seul froment. L'orge, céréale vedette aux
alentours de l'an Mil, est toujours cultivée et l'on
continue à en faire du pain "meilleur pour les
pauvres que pour les riches". Elle sert aussi à
confectionner l'orgeat (auquel on ajoute de l'amande douce),
sirop utilisé pour combattre toutes sortes de
maladies. L'avoine est essentielle pour nourrir les gros
animaux, et parfois même les hommes en cas de
nécessité. On peut aussi en faire de la
bouillie que l'on cuit seule ou avec de la viande. Quand on
la cuit seule, il est souhaitable d'y ajouter du lait de
vache ou de chèvre, ou encore du lait d'amandes
douces. C'est un remède apprécié contre
les maladies urinaires. Les menus blés que sont le
millet et le panicum (variété de mil)
demandent une terre légère et doivent
être semés au printemps, comme l'avoine. En
temps de disette, ils peuvent eux aussi servir à
faire un pain d'assez bonne qualité. Le sarrasin ou
blé noir (fajol) sert surtout à engraisser la
volaille, mais on en fait parfois du pain per la gent
pobra.
Parmi les
légumineuses,
appelées llegums, les fèves sont très
appréciées : elles demandent à
être semées et cueillies en période de
pleine lune. On cultive aussi toutes sortes de pois et des
pois chiches (ciurons), ainsi que des lentilles. Quant aux
haricots, ils n'ont pas encore très bonne
réputation et l'on hésite à les donner
à manger aux humains : on pense
généralement qu'ils ont fait leur apparition
au début du XVIe siècle, après avoir
été découverts en Amérique par
Christophe Colomb, mais certaines variétés
étaient déjà cultivées au
Moyen-âge par les Maures. On les appelle
indifféremment fesols ou mongetes. Les lupins sont
appréciés pour leur grande facilité de
culture. Ils jouent deux rôles essentiels : plantes
fourragères, ils serviront de nourriture aux bovins
pendant l'hiver ; engrais du pauvre, ils permettront
d'enrichir les terres labourables à défaut de
bon fumier (à cet effet, après la seconde
floraison, on les enterrera à l'aide de l'araire). On
peut également en faire du pain de disette. Les
vesces sont cultivées comme fourrage vert (il faut
les semer en septembre) ou pour leur graines ( on les
sème alors en janvier). Les autres plantes
fourragères cultivées sont surtout le
fenu-grec (sinigrec), la luzerne (alfals, auserda) et le
trèfle.
La
vigne fait l'objet
de soins très importants tout au long de
l'année. Agustí signale que le vin produit en
Roussillon est plus fort et meilleur que dans tout le reste
de la Catalogne. Selon lui, la différence est
liée au foulage : en Roussillon, la vendange est
foulée soigneusement avant d'être placée
dans la cuve, puis on n'y touche plus, tandis qu'en
Catalogne on foule le raisin matin et soir dans la cuve. Les
cépages mentionnés sont le Muscat, le Macabeu,
la Malvoisie, le Castillan, le Grec, le Trobat, le
Monestrell et le Pansas. La culture de la vigne est
fréquemment associée à celle de
l'olivier, dont on consomme les fruits
(récoltés avant maturation complète) et
qui est la seule plante oléagineuse utilisée
en Catalogne, où l'huile de noix n'est connue que
pour ses vertus médicamenteuses.
Le
jardin (l'hort)
joue un rôle considérable dans la vie paysanne.
Les légumes ou herbes y sont classés en trois
catégories : les herbes proprement dites
(légumes dont on consomme les feuilles), les racines
des herbes et les fruits des herbes. A ce sujet, il est bon
de se souvenir que lorsque nos vieux livres d'Histoire nous
décrivaient des paysans affamés contraints de
se nourrir de racines, ces racines n'étaient autres
que des navets et autres raves, voire des poireaux ou des
carottes.
De toutes les
herbes, le chou
est la plus appréciée, et il est indispensable
que l'agriculteur en ait dans son jardin à chaque
époque de l'année. Outre ses vertus
alimentaires, on l'utilise pour combattre de nombreuses
maladies. On cultive également les épinards
(consommés surtout en temps de Carême), les
laitues, les blettes, le cardon et le persil.
Parmi les
racines, on
consomme beaucoup de radis (ravens). Le poireau est souvent
mangé cru et on le préfère à
l'oignon, jugé meilleur pour ses vertus
médicinales que pour sa saveur alimentaire. On
utilise beaucoup l'ail, dont on essaie cependant de
combattre le goût prononcé : l'ail sera plus
doux si on le sème en lune vieille ; si on ne veut
pas sentir l'ail, il faut le manger avec des fèves
crues, ou bien se contenter d'en frotter l'assiette que l'on
va utiliser. On pensait que l'ail protégeait de la
peste et on l'utilisait en emplâtre sur les morsures
de chien enragé. La carotte (pastenaga) est à
la mode depuis la Renaissance : on s'efforce de la
récolter en Carême, ce qui permet
d'agrémenter cette période maigre. Elle est
utilisée pour faire uriner, pour enlever les coliques
et pour favoriser les règles. Le navet (nap) se
sème de préférence en juillet, à
la lune vieille, ce qui permet de le récolter pour la
Saint-Jacques : "lo bon nap per Sant Jaume ha de ser nat"
Enfin le panais (xaravia) vient compléter cette gamme
de racines qui, rappelons-le, ne comprend pas encore la
pomme de terre, découverte au Pérou vers 1532,
mais dont les vertus alimentaires ne seront reconnues qu'au
XVIIIe siècle.
Au rayon des fruits des
herbes,
l'artichaut, venu d'Italie à la Renaissance, s'est
peu à peu imposé face au cardon, dont il
paraît être une mutation. On consomme beaucoup
d'aubergines, de concombres, de courges, de courgettes et de
melons. Par contre la tomate n'est pratiquement pas
mentionnée par Agustí, tout comme l'asperge :
ce sont encore des produits de luxe dont on se méfie
dans les campagnes.
Agustí recommande
aux agriculteurs de réserver une place dans leur
jardin à certaines herbes médicinales, ou de
les conserver à proximité de chez eux :
bourrache, absinthe, sauge, menthe, rue, basilic, asaret,
scolopendre, plantain, pariétaire, ortie, mercuriale,
angélique, mauve, inule, chélidoine,
valériane, bétoine, buglosse, consoude,
germandrées, tussilage, pivoine, véronique,
matre silva (?), millepertuis (déjà
appelé herbe de la Saint-Jean), bugle petit-pin,
moutarde blanche, roquette, thym, hysope, coriandre,
oseille, pimprenelle, mélisse, matricaire, camomille,
armoise, marjolaine, azaro (?), bouillon blanc, anis,
boucage, cumin, fenouil, safran, tabac, abrotano
(variété d'armoise) et romarin.
Les plantes
textiles
cultivées sont le lin et le chanvre. Le lin demande
un sol très riche, qu'il épuise rapidement,
d'où la nécessité de fumer souvent la
terre et d'y pratiquer de fréquents labours. C'est
lui qui fournit la tela de casa, et permet d'obtenir un
linge moins grossier qu'avec le chanvre. Ce dernier demeure
pourtant essentiel, tant sont nombreux les besoins en
cordages. Le rouissage du chanvre, très polluant, se
pratique en général à l'écart du
village, en détournant un filet d'eau qui ne doit
surtout pas retourner à la rivière ou au
canal.
Les arbres
fruitiers ne font
pas l'objet d'une culture intensive, mais sont nombreux
autour des champs et dans les jardins, sans compter les
vergers ou les bosquets. Si l'abricotier n'en est
qu'à ses débuts, le pêcher est
déjà cultivé depuis des siècles,
et l'on s'efforce de trouver des procédés
permettant d'obtenir les fruits les plus gros possibles.
Pour le reste, pas de surprise, sinon peut-être
l'importance du grenadier ou du pin pignon, dont les fruits
étaient beaucoup plus appréciés
qu'aujourd'hui.
Ce qu'il faut retenir, et
qui sera une constante au moins jusqu'au milieu du XIXe
siècle (développement de la viticulture
intensive), c'est que le paysan est en même temps
agriculteur, viticulteur, horticulteur, arboriculteur,
exploitant forestier et éleveur. Dans un
système fortement autarcique, la
spécialisation est très rare, et donc il faut
savoir tout faire, ce qui suppose que les moments de repos
sont rares dans une année : il y a simplement des
jours où l'on travaille quelques heures de moins que
les autres...
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L'influence
de la lune
Depuis l'Antiquité
on était persuadé, souvent à tort mais
parfois avec raison, que la lune jouait un rôle
essentiel dans toutes les activités agricoles.
Agustí revient sans cesse dans son ouvrage sur ce
point qui lui paraît capital, et il y consacre
même deux chapitres. Le premier intègre la lune
au système des planètes et se rattache surtout
à l'astrologie. Le second fait le point des
connaissances empiriques liées au cycle lunaire.
C'est celui-ci qui nous intéressera surtout, d'autant
que la plupart des phénomènes
évoqués par Agustí sont encore
constatés par les agriculteurs d'aujourd'hui,
même si certains font preuve de scepticisme. Cela dit,
il ne nous appartient pas ici de prendre parti ou de tenter
des explications, mais simplement de constater.
Selon Agustí, la
lune est la mère de toutes les humidités qui
existent dans les choses terrestres : elle nourrit,
régit et gouverne ces humidités. C'est vrai
notamment pour les animaux : pas question de tuer les
bêtes à viande en lune vieille, car la viande
diminuerait d'un jour à l'autre, et sa cuisson
prendrait plus de temps. En lune vieille, il ne faut pas non
plus faire monter les juments, car les poulains ainsi
conçus sont malingres. La pêche est
déconseillée pendant la même
période, car les poissons sont moins gras et moins
savoureux. Par contre, les chevaux atteints de maladies des
yeux se trouvent en meilleur état pendant la lune
vieille. C'est au moment de la pleine lune que le fauconnier
devra faire voler son oiseau de proie. En lune neuve on
tondra moutons et brebis, de préférence le
matin, ce qui permettra à la laine de mieux pousser.
Si l'on veut faire provision de graisse ou de moelle de
mouton, de cerf ou de boeuf, on le fera en lune pleine et
à aucun autre moment. Les animaux seront
châtrés en lune vieille. Il faut mettre les
poules à couver en lune neuve, en particulier au
premier croissant ; quant au ver à soie, les
recommandations sont encore plus précises : la
"graine" sera mise en place deux jours après que la
lune aura tourné.
Les arbres fruitiers
doivent eux aussi être greffés deux jours
après que la lune a tourné, ce qui permettra
une meilleure croissance pendant la première
année. Leur plantation doit impérativement
s'effectuer un jour avant que la lune ait tourné si
l'on veut les conserver de nombreuses années ; par
contre, si on souhaite une croissance rapide, il faut les
planter quatre jours après que la lune a
tourné. On coupera le bois de chauffage en lune
neuve, mais il est indispensable de couper le bois d'oeuvre
en lune vieille, de préférence pendant le
dernier quartier et aux alentours de midi, ce qui lui
donnera plus de résistance. On plante la vigne en
lune croissante, vers le cinquième jour du cycle. Le
meilleur moment pour la taille varie selon la nature du sol
: sur les terres pauvres, il faut l'effectuer en lune neuve,
sur les terres riches en lune vieille. La vendange doit se
faire en lune vieille, car ainsi les vins seront meilleurs
et surtout se conserveront plus longtemps. Cette
règle s'applique d'ailleurs à tout ce que l'on
veut conserver, notamment les fruits.
Inversement, la plupart
des semailles seront effectuées en lune neuve, pour
une meilleure croissance. Mais il faut moissonner, battre et
moudre en lune vieille, qui sera aussi la meilleure
période pour arracher le chanvre, le lin et les
légumineuses. Les "herbes" doivent être
cueillies de préférence en lune pleine, ce qui
exalte leurs vertus. Même chose pour les
légumes à bulbe, à l'exception de
l'oignon, qu'il faut cueillir en lune vieille.
C'est en lune neuve qu'il
convient de faucher les prés pour le fourrage des
bêtes, et de donner à la terre le fumier et
l'engrais qui la régénéreront. Enfin,
on arrosera les prés en lune vieille.
A quelques exceptions
près, on peut résumer toutes ces
recommandations en une règle très simple : si
l'on veut favoriser la croissance d'un végétal
ou d'un animal, les diverses tâches à effectuer
s'accomplissent en lune neuve ; si au contraire on veut
conserver une production sans risque de la voir
gâtée par les vers et autres parasites, c'est
en lune vieille qu'il faut la récolter.
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Le
rôle de la mère de famille
La mère de famille
doit jouer un rôle complémentaire à
celui de son mari. C'est elle qui prendra en charge la
nourriture des vaches et des porcs, ainsi que la production
de lait, de beurre et de fromage. Elle s'occupera aussi du
four et du cellier, de la fabrication du lin, du chanvre et
autres toiles, fera tondre les brebis et les moutons, fera
carder et filer la laine nécessaire à la
confection des vêtements de la famille. Le jardin
potager est également à sa charge, de
même que le poulailler, le colombier et les abeilles,
la conservation des fruits et des semences.
Les grosses
dépenses de la famille ne la concernent pas : c'est
l'homme qui s'occupe d'acheter et de vendre les bêtes,
d'embaucher et de payer les valets de fermes (els
moços). Par contre, elle devra s'occuper des menues
dépenses, notamment le blanchissage du linge
familial.
Elle doit
obéissance en premier lieu à Dieu, en second
à son mari. Il faut qu'elle soit diligente mais
calme, qu'elle s'éloigne le moins possible de la
maison, qu'elle soit agréable dans les conversations
mais grave si le besoin s'en fait sentir, qu'elle ne soit
pas querelosa, litigiosa, xarlatana, avariciosa. Elle sera
ordonnée, aura continuellement l'oeil sur ses
enfants, sera la première à se lever et la
dernière à se coucher. Rien, pas même le
plus petit morceau de pain, ne devra sortir de la maison
sans l'autorisation du mari : per que un poch de pa negat, o
donat, contra voluntat de son marit, un poch vuy, y dema
altra poch, li costaria un pa.
Il ne faut pas qu'elle
prête l'oreille aux ragots, elle n'écoutera que
les nouvelles importantes, et chaque soir elle rendra compte
de tout à son mari. Elle doit faire plaisir à
ses voisins, et empêcher que ses valets et ses
servantes ne fréquentent dans leurs chambres. Quant
à ses propres filles, elle ne doit pas les laisser
aller aux fêtes et bals publics sans les accompagner
ou les faire conduire par une personne de toute confiance.
Elle donnera à ses fils l'habitude et le goût
du travail. Elle ne devra tolérer dans sa maison
aucune parole honteuse, aucun juron, aucun
blasphème.
C'est à elle qu'il
incombe de conserver les branchages taillés, les
sarments et les pailles pour chauffer le four. De
même, il lui faut penser à utiliser la paille
des fèves, des pois chiches, des diverses vesces, des
cardons, et même des "herbes inutiles", qui
fournissent une bonne cendre.
Si la mère du chef
de famille vit à la ferme, elle doit lui fournir le
compte exact des oeufs, des naissances de poussins et autres
animaux.
Elle doit connaître
les médicaments naturels permettant de soigner les
membres de la famille, ainsi que les vaches, les porcs et la
volaille. Car il est hors de question d'appeler le
médecin souvent et sans nécessité
urgente. Enfin, elle veillera à utiliser le pain dur,
à noyer le vin ordinaire en temps de pénurie,
ne conservant le bon vin que pour son mari et les
étrangers de passage.
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La
basse-cour
La basse-cour est donc
l'un des lieux privilégiés de la mère
de famille. Elle est aussi un élément
essentiel de l'agriculture autarcique, telle qu'on la
concevait autrefois. Nous ne parlerons pas ici des poules,
des oies ou des canards, tant leur présence semble
naturelle à la ferme depuis des siècles. Mais
les années 1600 marquent un tournant dans
l'aviculture, puisque certains volatiles, tels la pintade et
le dindon, ont fait leur apparition et remplacent cygnes et
paons, fort prisés au Moyen-âge.
Le paon, même si sa
chair est jugée indigeste, est encore
apprécié par Agustí qui conseille de le
tuer quelques jours avant de le manger, de lui lier un grand
poids à la queue et de l'attacher ainsi à une
branche de figuier, ce qui devrait permettre d'attendrir le
volatile. Sa fiente est en outre un excellent remède
contre les maladies oculaires, mais cet oiseau est
"tellement hostile au bien des hommes" qu'il mange
lui-même ses excréments (Agustí ne nous
dit pas si sa vue s'en trouve
améliorée).
Dindes et dindons sont
loin de faire l'unanimité : selon Agustí, ceux
qui nous ont apporté ces oiseaux auraient mieux fait
de les laisser dans leur pays d'origine, tant leur cri est
désagréable et tant ils coûtent cher
à nourrir. Quant à leur chair, assez indigeste
et peu goûteuse, elle doit être lardée de
cansalada et fortement épicée pour trouver
grâce à ses yeux. Mais il préfère
encore le paon et surtout le faisan, dont le goût
beaucoup plus fin compense les difficultés qu'on
éprouve à le domestiquer et à le
nourrir.
Enfin, chaque fois qu'on
en a les moyens, il faut absolument posséder un
pigeonnier, la fiente de pigeon étant
déjà reconnue comme l'un des meilleurs engrais
au monde : Agustí conseille de mélanger cette
fiente, trop chaude pour être utilisée seule,
à de la bouse ou à du crottin, et de
l'utiliser dans les champs, les prés ou les
vergers.
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Quelques
"médicaments naturels"
Voilà un autre
domaine où doit exceller la mère de famille,
à qui Agustí fournit un nombre impressionnant
de recettes parfois peu ragoûtantes pour soigner les
affections les plus diverses :
Contre les douleurs
dentaires, il faut faire bouillir du vinaigre
mêlé à de l'eau de rose et à des
racines de jusquiame, et utiliser cette décoction en
bains de bouche. On peut aussi prendre une tête d'ail,
la faire cuire un peu sous la cendre, et aussitôt
après en confectionner une pâte que l'on
placera sur la dent douloureuse : pour une meilleure
efficacité, la pâte doit être aussi
chaude que possible, et il est souhaitable d'en mettre un
peu dans l'oreille située du même
côté que la dent à soigner.
Pour consolider les dents
branlantes, on prendra en bain de bouche une
décoction d'eau de rose et d'alun, ou bien de
potentille rampante et d'alun.
Les douleurs d'estomac se
soignent en prenant une écuelle de cendre chaude
imbibée de vin, que l'on enveloppe dans une serviette
de lin et que l'on place sur la douleur. Un autre
remède consiste à prendre de grosses mies de
pain bien chaudes (au sortir du four), à les
imprégner d'huile de camomille, puis à les
mettre sur l'estomac, enveloppées d'un
linge.
Pour prévenir
l'incontinence nocturne, il n'y a rien de meilleur que de
manger souvent du poumon d'écureuil rôti, ou
encore d'ingurgiter un mélange de vin et de cervelle
de lièvre (la cervelle de lièvre pouvant
être remplacée par une vessie de
porc).
Si l'homme ressent des
brûlures en urinant, il faut qu'il se frotte le membre
avec du petit-lait (après avoir uriné) et
boive du lait de chèvre. Si le membre viril est
enflammé, on y appliquera un emplâtre de farine
d'orge, d'écorce de grenadier, de suc de plantain ou
d'immortelle, et de roses sèches (le même
remède est utilisé pour les inflammations de
la matrice, mais sans roses sèches).
Pour guérir toutes
les sortes de plaies et blessures, il faut prendre des
petites feuilles de plantain, des feuilles de mauve et de
verveine (une poignée de chaque), et vingt-quatre
feuilles de saule. Après avoir soigneusement
nettoyé ces feuilles, on les écrase tout en
les pliant. Puis on prend vingt onces de graisse douce (ou
du lard rance), et l'on met à fondre et à
bouillir dans une poêle le mélange de graisse
et de feuilles pilées. En fin de cuisson, on ajoute
une noix d'encens et deux noix de cire neuve. Le tout va
donner un onguent qu'on utilisera avec succès sur
toutes les blessures et sur les irritations de la
peau.
Bien entendu, la liste des
divers remèdes est très longue, et il nous est
impossible ici d'en faire le recensement complet. On
comprend cependant, à l'aide des quelques exemples
que nous venons d'évoquer, que rien dans la nature
n'est totalement inutile au paysan du XVIIe siècle.
Pas question pour lui d'exterminer la moindre espèce
animale ou végétale, dont on aura toujours
besoin à un moment ou à un autre. On peut
certes douter de l'efficacité des médicaments
proposés, mais leurs vertus écologiques
étaient indéniables : il n'y avait pas
meilleurs protecteurs de la nature que les paysans
d'autrefois.
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