- Cabanes
en pierres
sèches
- dans
les
Pyrénées-Orientales
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Ces
diverses cabanes ont été
photographiées sur la commune de
Rodès, entre Ille-sur-Tet et Prades, dans un
secteur granitique.
Cliquez
sur les images pour les
agrandir.
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Une
technique ancestrale employée jusqu'à
nos jours
Faut-il le
préciser, une cabane en pierres
sèches est un bâtiment de dimensions
généralement réduites,
construit sans adjonction de mortier. Cette
technique était connue dès la
préhistoire, et elle s'est
perpétuée dans toutes les
régions de collines et de plateaux au sol
pauvre, où il suffit à l'homme de se
baisser pour ramasser des quantités
considérables de pierres.
Ces cabanes ont
eu, au fil des siècles, de multiples usages
: abris pour les hommes ou les animaux,
réserves permettant d'entreposer du
matériel agricole ou des provisions, mais
aussi postes de guet, puits ou citernes. Elles ont
souvent été construites par des
bergers, faisant alors partie d'un ensemble
constitué d'un enclos, d'un couloir de
traite et parfois d'autres cabanes à usages
variés (protection d'agneaux
nouveaux-nés, confection de fromages par
exemple). C'est dans le domaine pastoral qu'on
trouve sans doute les cabanes les plus anciennes et
aussi les plus grandes (utilisées souvent
comme bergeries).
Mais il ne faut
pas croire que toutes les cabanes aient eu une
vocation pastorale. Au moins aussi nombreuses sont
les petites constructions dues aux vignerons, voire
aux agriculteurs : l'épierrage d'un champ ou
d'une terrasse produit en effet un tas
considérable de pierres (le tarter catalan)
que l'homme a su utiliser avec profit, construisant
avec elles murets et cabanes. Signalons enfin un
dernier avatar de nos cabanes, celles qu'ont
édifiées au bord des routes les
cantonniers au début du XXe siècle,
preuve que la cabane en pierres sèches n'est
pas une forme archaïque d'architecture rurale,
et que sa technique a été
conservée pratiquement jusqu'à nos
jours.
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Une
technique aussi simple que
raffinée
Pour construire
une cabane, il faut d'abord choisir soigneusement
l'endroit. On peut mettre à profit,
notamment en terrain granitique, le rocher
existant, ce qui donnera à l'édifice
des fondations naturelles défiant les
outrages du temps. Si ce n'est pas le cas, on
respectera quelques principes simples : orientation
de la porte, appui contre un mur de pierres
sèches (ou intégration de la cabane
à ce mur). Le plan au sol varie en fonction
du terrain, mais aussi selon les époques de
construction et la vocation de la cabane : plan
circulaire pour beaucoup de cabanes de bergers, qui
nous semblent les plus anciennes ; plan
rectangulaire pour les cabanes de vignerons
construites à l'extrémité des
feixes. Mais il existe aussi de nombreux plans
irréguliers, mélanges de courbes et
d'angles droits : par exemple des plans en U
où la façade est
intégrée au muret et où
l'arrière de la cabane forme un
demi-cercle.
Une fois
posée la première assise, les pierres
vont s'élever selon le principe de la
voûte en encorbellement, chaque assise
dépassant de quelques centimètres
vers l'intérieur celle sur laquelle elle
repose. Les interstices laissés par cette
technique tributaire des pierres trouvées
sur place sont comblés à l'aide de
nombreux cailloux. Le sommet de la voûte est
recouvert de terre et de graviers, et l'on doit au
moins une fois par an remettre de la terre pour
consolider l'édifice et assurer une bonne
étanchéité.
Une seule
ouverture, en principe orientée au sud,
permet d'entrer dans la cabane ; son linteau est
formé le plus souvent de deux ou trois
grandes dalles. Pour alléger la pression
subie par le linteau, les cabanes de dimensions
importantes peuvent comporter également un
arc de décharge. Les problèmes de
cheminée sont réglés de la
façon la plus simple possible : une dalle au
sommet de la voûte, que l'on peut faire
glisser ou même enlever selon les besoins.
Quelques constructeurs raffinés ont su
ménager des niches à
l'intérieur de la cabane, plus rarement
ouvrir une petite fenêtre, voire une vraie
cheminée avec un conduit.
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Problèmes
de dénomination
Jusqu'à
présent je n'ai employé que le terme
de "cabane" pour désigner ces constructions
à voûte en encorbellement. Bien
entendu, comme il s'agit de petits édifices
ruraux, chaque région leur a donné un
nom : par exemple les cases en Auvergne ou
les chibottes dans le Velay. Chez nous,
involontairement ou non, les érudits locaux
ont fait commettre bien des erreurs (tout comme
ceux qui, à la fin du XIXe siècle,
ont appelé à tort "bories" les
cabanes provençales), et il convient de
clarifier les choses.
Pierre Ponsich,
en parlant d'orris, est en partie à
l'origine d'une erreur qu'il n'avait pourtant pas
commise lui-même. Dans un article
intitulé "Cabanes et "orris" de pierres
sèches" , il prend en effet soin de
préciser que, pour lui, la cabane et l'orri
sont deux bâtiments différents,
même si leur conception est la même.
Selon lui, l'orri est un grenier à fromages,
comme l'indique son étymologie latine
(horreum = grenier), et n'est donc pas
destiné à l'occupation par l'homme.
J'ajouterai pour ma part que le mot orri,
exclusivement réservé à
l'élevage ovin, semble avoir pris un autre
sens, celui d'enclos pastoral, et notamment
d'enclos où l'on trait les brebis.
D'où l'expression formatge d'orri,
fréquente dans les textes, et la locution
adverbiale a orri (ou en orri), qui
signifie "en abondance", comme le sont les ovins
entassés dans un enclos. Rien à voir
donc avec nos cabanes, même s'il est
fréquent de trouver des cabanes dans des
lieux nommés "Pla de l'orri" ou "Coll de
l'orri".
Plus grave est
l'utilisation par Annie de Pous du mot
capitelle. Il s'agit en effet pour elle d'un
choix délibéré : n'ayant pas
pu trouver le terme exact servant à
désigner les cabanes de pierres
sèches, elle a décidé
d'employer un mot languedocien utilisé dans
les Cévennes, capitela, et elle a
été aussitôt suivie par la
population gavatxa de notre
département ; aujourd'hui, que ce soit
à Latour de France ou à Cassagnes,
voire à Bélesta, on ne parle plus que
de capitelles, dont la commune de Cassagnes a
d'ailleurs fait un argument touristique (l'Auberge
des Capitelles, la cuvée des Capitelles). Et
pourtant, le mot n'a jamais été
employé chez nous. Quel dangereux pouvoir
détiennent les érudits à qui
l'on fait trop souvent aveuglément confiance
!
Il faut dire que
le terme exact est beaucoup moins valorisant si
l'on s'en réfère à la langue
française : c'est en effet de baraques qu'il
convient de parler pour désigner l'ensemble
de nos cabanes, le mot n'ayant d'ailleurs rien de
péjoratif en catalan. Ouvrez le dictionnaire
d'Alcover, et vous verrez à l'article
barraca deux dessins de cabanes en pierres
sèches. Consultez les archives, et vous
constaterez que chaque fois qu'il est question
d'une cabane, c'est de barraca que parle la
personne dont on reproduit les propos. Deux
exemples entre autres : en 1817, un habitant
d'Estagel assassine un de ses voisins, sous le
prétexte que celui-ci avait forcé la
porte de sa baraque pour lui dérober un
mouton ; en 1818, des bergers effectuant la
transhumance en montagne se font voler des
provisions et des effets dans leur baraque.
Cela dit, les
questions de vocabulaire ne sont certainement pas
les plus importantes. Mieux vaut apprendre à
connaître, à aimer et à
respecter ces petits bâtiments qui font le
charme de tant de sites redevenus sauvages depuis
que l'homme a cessé de les
exploiter.
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sèches
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de l'agriculture
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