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Connaître l'origine de son nom de famille, voilà une initiative louable en soi, à condition toutefois d'éviter deux écueils : - Ne pas aller chercher des solutions compliquées, même si elles vous paraissent valorisantes, alors que la vérité est presque toujours d'une extrême simplicité. Je me souviens par exemple d'un nommé Batlle, qui avait imaginé comme origine à son nom une bataille en Angleterre (battle !) où l'un de ses ancêtres se serait couvert de gloire. - Ne pas vous mettre dans la tête que les gens qui portent votre nom sont forcément vos cousins. Les mêmes noms sont en effet apparus à la même époque (tout est relatif, bien sûr), dans tous les coins de l'Europe occidentale ou presque, et les dizaines de milliers de Martin, Martinez ou Marty n'ont que des chances très minimes d'avoir entre eux le moindre lien de parenté (y compris quand ils habitent la même commune). J'ajouterai un troisième écueil : vous allez lire une définition dans mes pages, ou bien vous avez consulté ou consulterez un ouvrage spécialisé (l'un des derniers en date s'appelle "Dictionnaire étymologique des noms de famille", son auteur est Marie-Thérèse Morlet, la plus récente édition date de 1997 chez Perrin). Mais n'allez pas croire pour autant que ce que vous aurez lu est vrai à 100 %. S'il n'y a aucun risque d'erreur avec les noms les plus courants, d'autres posent de vrais problèmes, et la définition fournie sera peut-être jugée erronée dans une dizaine d'années. Cela dit, voici en quelques lignes ce qu'il convient de savoir : Transportons-nous aux alentours de l'an Mil. La plupart des gens, suivant le modèle hérité des envahisseurs germaniques, portent un seul nom, leur nom de baptême. Il y a cependant une énorme variété de noms disponibles, ce qui fait que les problèmes d'homonymie ne sont pas encore trop graves, même s'ils existent. Mais, en moins de deux siècles, les choses vont se compliquer singulièrement, car les possibilités de choix se sont appauvries en raison d'un phénomène bien connu : la mode. Non seulement on ne porte plus les noms qui n'ont pas "marché", mais en plus on veut tous avoir le même nom, jugé bénéfique ou prestigieux : Raimundus, Guillelmus, Bernardus ou encore Berengarius sont parmi les plus recherchés en Catalogne. Un remarquable exemple est fourni par les études de Paul Aebischer sur le cartulaire de Sant Cugat : - Entre les années 970 et 979, sur un ensemble de 238 individus, on rencontre 172 noms différents. - Entre 1070 et 1079, sur un total de 159 individus, on ne trouve plus que 58 noms différents. - Entre 1170 et 1175, sur 272 individus, il ne reste que 44 noms différents, soit en moyenne un nom pour six personnes ! (exemple cité par Francesc de B. Moll "Els Llinatges catalans", 1959) La situation est devenue ingérable, aussi bien pour l'élaboration des cartulaires que dans la vie quotidienne. Imaginez-vous arrivant sur la place du village et criant "Guillem !" : aussitôt la moitié des gens vont se précipiter vers vous. D'où le recours systématique à l'usage d'un second nom, qui sera accolé au premier. Le phénomène n'était d'ailleurs pas nouveau, il suffit de penser aux rois francs, Charles Martel, Pépin le Bref, Louis le Pieux, Charles les Chauve, sans oublier Charles le Grand (Charlemagne), qui avaient tous un surnom. L'usage du surnom est, de toute façon, une constante des relations humaines, et aujourd'hui encore on continue, dans les villages et les établissements scolaires, à donner des sobriquets à ses professeurs ou à ses copains. Donc, dès le XIIe siècle (parfois avant dans plusieurs cartulaires), chaque individu va avoir deux noms, le second devant être suffisamment explicite pour permettre une différenciation efficace. Cependant, chez près de la moitié des gens, on ne fera pas preuve d'une grande imagination, se contentant de donner à l'enfant le nom de son père comme deuxième nom. Le résultat, nous le voyons aujourd'hui : si vous recherchez à Paris une personne nommée Jean Martin, vous allez obtenir en tout 43 réponses dans l'annuaire téléphonique. En Espagne et en Catalogne, l'obligation de mettre côte à côte les noms du père et de la mère a permis de résoudre en partie cette fâcheuse homonymie (mais il y a quand même beaucoup de Martinez y Garcia, ou inversement !). Ceci dit, le choix du deuxième nom, que nous appellerons maintenant nom de famille, s'est fait partout de la même façon, ce qui nous permet de classer les noms de famille en quatre catégories très simples : nom du père (ou plus rarement de la mère), nom d'un lieu, nom de métier ou de dignité, surnoms divers. 1. Nom du père (ou de la mère) Utilisé, je le répète, dans près de la moitié des cas. La conséquence, c'est qu'aujourd'hui presque une personne sur deux a comme nom de famille un prénom ou un ancien prénom. On peut distinguer quelques sous-catégories : a. Le nom du père a été conservé tel quel : Martin, Roger, Thomas, Vidal etc... On aura l'occasion de voir dans l'étude alphabétique que beaucoup de ces patronymes sont d'origine germanique (ce qui ne veut pas dire, évidemment, que l'ancêtre éponyme soit lui-même germanique). b. Dans certaines langues, on a utilisé un affixe (préfixe, ou le plus souvent suffixe) pour marquer la filiation : -EZ en castillan (Sanchez, Martinez, Perez), -SON en anglais (Jackson, Davidson, Richardson), ou encore le -I de la finale des noms italiens (Martini, Alberti, Baldi). Chez les Arabes et les Juifs, on trouve le préfixe BEN, généralement séparé du nom. c. En français et en catalan, on n'a pas utilisé systématiquement ce genre d'affixes, même si certains S catalans en finale (ou encore le suffixe -ES) sont parfois considérés comme des marques de filiation. Par contre, on a fait un grand usage des hypocoristiques, diminutifs affectueux formés par aphérèse (suppression du début du mot : Antonin > Tonin) et suffixation. Les suffixes catalans les plus utilisés sont -ET, OT, que l'on trouve dans Joanet, Guisset ou Payrot. d. Plus rarement, c'est le nom de la mère qui a été utilisé (on parle alors de matronyme), par exemple dans Martine ou Lamartine. 2. Utilisation d'un toponyme Les toponymes, ou noms de lieux, ont été fréquemment utilisés, et peuvent désigner : a. La ville ou le village dont la personne est originaire, à condition bien sûr que ce ne soit pas la ville où l'on habite (Tolza = de Toulouse), ou encore la province ou le pays d'origine (Alemany = Allemand, Lebreton, Limouzy). b. La maison, sa situation dans la ville, son état (Casanova = la maison neuve, Casagrande = la grande maison, Casamitjana = la maison du milieu, Casademont = la maison d'en haut, Casadevall = la maison d'en bas). c. Le lieu où l'on habite, dans le village ou à proximité : Puig (la colline), Pujol (la petite colline), Bosc (le bois). d. Le lieu où l'on travaille, le type de parcelle agricole ou de propriété que l'on possède : Lafargue (la forge), Lavigne, Trilles (= treille), Lagrange, Colomer (colombier). 3. Nom de métier ou de dignité. Le plus utilisé de tous est Fabre (Faivre, Lefèvre, Faure etc...), qui désignait le forgeron. Mais beaucoup d'autres métiers sont représentés : tisserand (Tixador, Teissier), sabotier (Sabater), pareur de draps (Parayre) etc... Parmi les dignités, notons en pays catalan le Batlle, représentant du seigneur dans le village. Certains noms de dignités sont en fait des sobriquets : il est évident que les nombreux Rey catalans ou les Leroy de France n'ont jamais été rois, sinon au cours de fêtes populaires. 4. Surnoms divers. La catégorie la plus délicate à cerner, tant les surnoms ou sobriquets sont nombreux et parfois difficiles à interpréter. Si quelqu'un est appelé Loiseau, est-ce parce qu'il siffle bien, qu'il a aussi peu de cervelle que ce volatile ou qu'il est léger comme une plume ? On peut cependant, là aussi, établir quelques sous-catégories. a. Surnom lié aux circonstances de la naissance. Par exemple un enfant né en avril s'appellera Abril, un enfant né un jeudi Dijous (c'est souvent ainsi que l'on baptisait les enfants trouvés). b. Surnom lié à une particularité physique : Negre (noir), Roig (rouge), Blanc, Grand, Petit, Calvet (chauve), Prim (maigre)... c. Surnom lié à une qualité ou à un défaut, à un trait du caractère ou du comportement : Bo (bon) et son diminutif Bonet, Malet (son contraire), Amoros (amoureux)... Le surnom n'est parfois pas forcément lié au comportement de l'individu, mais de son épouse (Cocu, Cornard, mais il faut se méfier des apparences : Cocu serait au départ simplement une métaphore avec l'oiseau le coucou, le sens de mari trompé n'étant attesté qu'à partir du XVe siècle). d. Comparaison avec un animal, par exemple Loiseau (en catalan Ausseil, Ocell), mais nous entrons là dans la catégorie des inclassables. Ainsi, je connais quelqu'un que l'on a surnommé Mosca (la mouche). Comme le surnom est récent, il est facile d'en connaître l'origine : la personne avait pris l'habitude de ponctuer une bonne partie de ses phrases par l'exclamation "Mosques". Pourquoi ? Je n'en sais trop rien. En tout cas, cela nous fournit un bon exemple de surnom lié à un animal mais ne reposant en fait sur aucune comparaison. e. Les inclassables. Vous l'aurez compris, il s'agit de surnoms reposant sur une anecdote (ou un fait grave), mais dont il nous est impossible de découvrir l'origine, celle-ci remontant à plusieurs siècles. Une dernière chose : tous ces noms de famille ont été officialisés au XVIe siècle, l'ordonnance de Villers-Cotterets (1539) ayant rendu la tenue des registres paroissiaux obligatoire en France. Les autres pays n'ont pas tardé à suivre. Cela n'a pas empêché les noms de continuer de changer d'orthographe au gré des déclarants, des curés ou plus tard des secrétaires de mairie. Tantôt on remplace un i par un y, on ajoute ou on enlève un accent ou un s ; ou encore, en Roussillon, on francise les noms catalans : Xatart devient Chatard, Teixidor devient Tixador puis Tichadou, ce qui fait que, dans de nombreux villages, des gens appartenant à la même famille (c'est prouvé généalogiquement) portent des noms différents. |
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